Atticus grattait, griffait. Le revoir, après toutes ses années aurait dû être un soulagement. Ce soir-là, aurait dû être merveilleux, étincelant. Ils auraient dû rire et pleurer ensemble, l'un à côté de l'autre. Ulrik aurait dû poser ses mains confiantes sur les épaules de son ami, écouter ses peurs, murmurer des réconforts doux. Il aurait dû sentir les larmes d'Atticus couler sur son épaule en le serrant contre lui. Il aurait dû sentir Atticus, sentir son corps, vivant, sentir l'espoir et le bonheur des retrouvailles. Il y aurait eu des moments durs, mais la joie aurait dû tout effacer. Et ensemble, ils auraient lever la tête pour chercher et comprendre. Ensemble.
« C'était plus facile de juste nous oublier, pas vrai ? »
Mais il crachait. Grattait la peau d'Ulrik jusqu'à griffer son cœur. Pleins de rancœur, il lui en volait. Le mordait de haine avec des paroles dures et injustes. Ulrik s'effritait, sentait son esprit se transformer en poussière. Impuissant, ses tentatives ne faisaient qu'alimenter le monstre d'animosité qu'était devenu Atticus.
Voulait-il le voir pleurer ? Voulait-il voir sa nuque se briser sous la honte et les remords ?
Le chef s'en voulait, il mourrait de culpabilité depuis quatre ans. Il mourrait de peine à présent, en se trouvant incapable de trouver les mots capables de ramener Atticus vers lui. Il rejetait l'affection, sans cesse. Il ignorait les efforts, effrontément. Mais Ulrik ne pouvait laisser s'échapper que certains crissement de gorge, mais les larmes. Il ne pouvait.
« Tu n'as pas changé Ulrik. »
Il faisait des efforts, assis à la table. Et cherchait désespérément le regard d'Atticus, coincé dans d'autres sentiments... Parfois il faiblissait et l'espoir de lui prendre la main, de supporter ses sanglots se dessinait. Mais ensuite il revenait, et frappait Ulrik de mots durs, méchants qui, oui, faisaient craquer son dos, ses épaules, déchiraient ses paupières et ses sourires comme du papier. Atticus tranchait et Ulrik tentait de résister... Essayant de se rapprocher en attaquant le moins possible. Il voulait supporter, devait supporter, mais la fatigue pointait et face à l'injuste et la colère de l'autre, l'exaspération montait. Il sentait son cœur grogner davantage à force d'être serré entre les mains coléreuses d'Atticus.
« Peut-être qu'il est temps que tu cesses d'être chef contre ton gré. Peut-être qu'il est temps que tu deviennes réellement chef. »
Atticus se tenait debout, baissant des yeux déçus, vainqueurs et cracha une ultime fois sa bile acide. Il prenait cet air grand, pourtant il fuyait alors qu'Ulrik tentait de rester, de résister. Mais on ne faisait que le mépriser en retour. Sans jamais essayer de le comprendre. Atticus n'imaginait pas le temps qui s'était écoulé, combien d'épreuves Asvos avait dû traverser. Il rentrait et se contentait d'en vouloir au monde entier sans tenter de le comprendre... Les pas d'Atticus s'éloignait et dans l'écho qu'ils provoquaient, la fureur montait, crispant les points et la mâchoire. La dernière phrase l'avait brûlé, l'avait atrocement fait souffrir. Et une part de lui voulait pleurer, baisser la tête, lécher la blessure dans le calme et se réconforter dans la fumée chaleureuse d'une cigarette solitaire...
Mais tout à coup Ulrik se leva. Le corps traversé d'un courant de haine incontrôlable, il avança de trois pas, bruyant, et agrippa l'un des bras d'Atticus qui se baladaient avec bien trop d'aisance. Il serra, se retenant pour ne pas enfoncer ses ongles dans la peau de celui qui venait de lui lacérer le cœur.
« Nous n'avons pas fini. » Rétorqua le chef sans élever la voix, mais asséchant ses mots pour les rendre tranchants. Dans son regard brillaient des larmes de rage, une fureur ardente consumait ses pupilles alors qu'il forçait Atticus à lui faire face, droit dans les yeux. tu ne vas pas t'enfuir maintenant.« Tu veux que je sois réellement chef ? Alors commence par me traiter comme tel. Excuse-toi. »
Et la gentillesse et les sourires c'étaient envolés. Etait-ce ce genre de chef, qu'Atticus espérait voir à la tête d'Asvos ? Mais Ulrik ne le serait que pour lui, que cette nuit, où il se permettrait d'expulser tout ce que le chef d'Asvos qu'on a nommé ne peut pas être.
La main s'était envolée et, d'un coup sec, la paume était venue claquer la joue d'Atticus. Ulrik n'avait pas cherché à sortir de l'emprise qu'on maintenait sur son col. Il l'acceptait et grâce à elle Atticus ne pouvait pas s'échapper.
« Ça suffit. »
Et il n'y avait rien à rajouter. La voix d'Ulrik était rude mais calme. Pas forte, au point qu'elle aurait pu se faire caresse. Tout comme le coup était davantage surprenant que violent. Une secousse, une décharge pour remettre en ordre cette tête désordonnée qui le dépassait légèrement. Le chef espérait qu'Atticus se rendait compte... qu'il n'y avait rien d'autre à rajouter, que s'en était assez : il avait dépassé les bornes.
Bien que le regard d'Ulrik ressemblait à celui d'un père déçu dont un bout de cœur se serait déchiré avec le coup, la bienveillance était toujours plus forte. L'éclat de ses yeux vibrait d'un chagrin profond et sombre. Ses sourcils se courbait sous le poids de la tristesse et non de quelconque colère, qui s'était déjà évaporée si elle avait été présente à un moment.
Il n'y avait rien a ajouter, pourtant Ulrik ne pouvait pas se taire. A l'intérieur son corps tremblait, et l'impression que sa main lui brûlait était insupportable. Comme s'il avait osé effleurer un soleil ardent, intouchable. Comme s'il avait osé braver un interdit et craignait à présent de ne plus pouvoir se racheter... Cette idée l'effrayait. Mais Ulrik savait qu'il n'avait pas eu tord. Qu'il ne pouvait et ne devait pas essuyer un affront si fort et si injuste. Et il se demandait d'où venait cette accusation... Si elle n'était que le fruit d'une colère chaotique ou si Atticus révélait là une véritable pensée qui le taraudait.
Ulrik était blessé, un trou béant dans sa poitrine laissait pénétrer en lui des courants d'airs d'incertitude. Il resta silencieux et toujours les yeux levés, sans repousser Atticus qui le tenait encore, il reprit.
« Tu as fini ? Tu as terminé de dire des conneries ? » Encore, le chef ne criait pas. Le ton était plus doux, se transformant doucement en souffle tendre rempli de compréhension. « Reprends-toi s'il te plais. C'est dur... Mais je ne suis pas ton ennemi. »
Tu le sais. Tu le sais, n'est-ce pas ? En tant qu'ami mais aussi comme chef. je ne suis pas un ennemi. Je ne suis pas un imposteur.
Dans son regard, luisaient ses dix années. Dix lourdes années de pouvoir dont il ne pouvait se défaire. Dix années remplies de tâches, de devoirs qu'on ne pouvait imaginer et Ulrik avait toujours mener à bien son travail. Avait toujours donner plus que ce qu'il avait. La fatigue ne marquait pas son visage, mais l'absence de cernes n'effaçait pas l'éreintant train de vie qu'il menait. Ulrik aurait voulu montrer tout cela à Atticus, mais il ne pouvait que faire scintiller ses souvenirs dans ses yeux.
Quatre ans les séparait et Ulrik pensa que seul le pouvoir d'une étreinte pourrait enfin les rapprocher. Alors il essaya d'entourer Atticus de ses bras. Pour se faire pardonner de l'avoir frapper, mais désirant toujours qu'en retour, Atticus s'excuse de toutes les terribles choses qu'il pouvait penser.