Peut-être qu’avant d’arriver dans l’enclave Jack était quelqu’un. Avant de n’être qu’un prénom, il avait dû être un fils. Avant de n’être qu’un soldat, il avait dû être un homme. Avant de n’être qu’un soupire, il avait dû être sourire.

Sur le sol calciné de ses souvenirs consumés par l’amnésie, Jack s’est reconstruit. Il a mis du temps à s’y faire et trébuche encore parfois quand névrosé, ses doigts brûle de défaire l’écheveau invisible de son inextricable situation. Il n’aime pas les questions en suspens ; Encore moins les situations sans résolutions. Mais il a dû hisser le drapeau blanc devant cet insoluble problème, car malgré toute sa détermination il sait bien qu’il ne peut vaincre le temps, pourtant, jamais résolu à une défaite complète, Jack amasse des bouts de réponses qu’il entasse dans les creux évidés de sa mémoire. Petit à petit, grâce à de constantes interrogations, il tisse entre deux faits des liens de causalité pour deviner la personne qu’il était. Voilà ici, sa maigre consolation mais Jack, affamé de réponse, s’en contentera. Puis en redemandera.

Aujourd’hui, pour combler le creux et colmater les brèches, Jack se voue à une dévotion tout en abandon, jusqu’aux frontières de la perdition. Devenu chef de division à la grâce de son infaillible zèle, Jack est un homme de devoir dont on ne saurait douter de la précise diligence. Et lorsqu’on murmure qu’il n’existe que pour son métier, il répond avec austérité que c’est vrai.

Voyageur éperdu, recueilli par les aigles qui l’ont amené entre les murs du château de Windamere, Jack repaie une dette à ces gens qui lui offert une direction. En l’admirable Lucius dont l’esprit bouillonne d’un feu plein de verve, Jack a reforgé le métal brisé de son épée et les parties morcelées de son esprit. Il a fallu de quelques mots pour qu’il prenne cette cause tout à cœur avant de finalement en faire une question d’honneur. La main sur la poitrine il a juré fidélité et dans cette nouvelle quête a enfin trouvé un répit à toutes ses questions, une réponse à toutes ses prières, puis s’y est réfugié pour ne plus jamais se retourner.

Jack n’est jamais plus Jack que lorsqu’il arpente ses troupes bien en rang et que derrière ses godasses, traîne une cohorte de surnoms attirée par sa stricte réputation. Il a l’exigence intolérante que réclame son zèle et la dureté martiale à l’inoxydable poigne de fer. Il ne s’autorise aucun répit et n’en autorisera aucun à ses hommes.
Jack a les airs de gravités qu’affichent tous les gens préoccupés, il a le silence éloquent de ceux qui disent beaucoup en ne disant rien, il a le regard solennel et la posture droite, toujours debout tel un piquet, comme un soldat au garde-à-vous.

Derrière un granitique maintien et la dureté ferme de son regard, danse à tambour battant un cœur bien trop vibrant. Jack aurait voulu emprunter à l’horizon le calme immuable, presque imperturbable de ses lignes que jamais rien ne troublent mais c’est plutôt la houle qui lui a fait grâce de ses traits. Alors comme s’élèvent sans prévenir d’impétueuses vagues sur l’océan, les sourcils de Jack se froncent facilement car il n’accepte aucune contrariété. Prompt à l’emportement jusqu’à l’énervement, ses hommes le surnomment Gueulefort quand résonne sa voix amère aux mots ardent que rien ne parvient à rendormir une fois ainsi réveillée.

Jack a l’esprit téméraire et fougueux, susceptible de réagir à la moindre pique et d’aboyer au moindre passage. Il abrite derrière la falaise de ses traits, une colère qui n’a ni père ni mère et dont il a oublié les origines. Peut-être était-elle là avant l’amnésie, ou peut-être est-elle naquit du ventre vierge de son esprit ; Il n’en sait trop rien. Il ne sait que sa présence qui souffle son haleine ardente contre l’étroite paroi de ses tempes, il ne sait que ses humeurs qui claquent sèchement comme claquerait une courroie de cuir.
Jack, sans compromis ni alibi, s’est offert de tout son être à Aquila et son roi, pour enfin palper de ses doigts un but élusif. A présent qu’il le tient entre ses rugueuses mains, qu’il s’y est accroché avec force pour se relever et tenir de toute sa stature, Jack a la rectitude inflexible des hommes qui se vouent à servir sans faillir, a le sérieux infini des hommes qui ont épousé le métier.

On se demande parfois, si c’est les promesses de gloires et l’envie de côtoyer les sommets qui l’animent ; On s’interroge sur jusqu’où s’enracine le prix de sa profonde loyauté.
En vérité, Jack ne demande qu’à bien accomplir ses tâches qu’il pense noble. Son code moral lui dicte d’être un homme d’honneur, lui dicte de bien servir et si cela est fait, alors Jack se laisse à une infime satisfaction. Puis il se remet en marche. Il n’a pas le temps pour les béatitudes car il n’est que vraiment vivant sous son blason frappé d’un aigle. Débarrassé de son uniforme, délaissé à la vie civile, Jack n’est plus sur de savoir comment exister car il lui semble avoir tout donné.

Dans le calme de ses jours de repos, Jack perd pied. Il ne sait pas plaisanter, ni s’amuser. Dans les salles en fêtes et parmi les cœurs en liesse, Jack est une drôlerie bourrue à la moue esquintée, prompt à être grincheux en se fendant d’avares remarques sèches, prompt à être stoïque en laissant rebondir sur lui toutes tentatives de boutades. Déplaisant tant il ne s’évertue qu’à dire de vérités, Jack n’est pas autant désagréable qu’il est inapte. Il manque à son usage, les petites phrases, l’art des conversations basiques et les compliments de circonstances. C’est ironique toute cette maladresse chez un homme si droit mais Jack a depuis longtemps oublié le social pour le martial.

Jack, écartelé de son passé s’est rebâti sur une inviolable intégrité. Il est l’honneur incorruptible et la justice inflexible. Pour dominer le vacarme confus d’existentielles pensées et s’éviter d’inutiles tortures, Jack a préféré fuir en avant, confiant son âme au plus juste des idéaux. On vous dira que Jack est un brave, Jack est un fier. Il  a un sourire amer, parce qu’il le sait lui-même ; Jack vit par procuration. Aquila est une salvation. Aquila est une quête sans laquelle il serait perdu car Jack n’a pas la force des hommes qui savent exister par eux-même.

Le ciel avait gelé et pris une couleur indifférente, glacée comme un coup de froid. Son visage s’était fermé.

La sentence était arrivée, inéluctable. Un grand vide lourd de pesanteur tomba en lui. Il avait l’impression d’avoir avalé du plomb ou bien un chapelet de fer. Jamais ne s’était-il rendu compte avant cet instant précis, à quel point la mort était cruelle et définitive.

Elle n’était plus là. Elle ne reviendrait jamais de cette autre rive. Elle y naviguerait jusqu’à se faire engloutir par l’horizon.

Il avait déjà sentiment que son dernier rire n’avait plus rien de vibrant. Il en avait oublié la composition ou peut-être n’y avait-il jamais vraiment fait attention. Après-tout, on ne l’avait jamais prévenu qu’elle partirait brusquement. Personne n’était censé mourir à vingt ans.

Debout et droit comme un piquet ainsi qu’on le lui avait appris, il s’était raidi sous l’inflexion d’un regard torve d’où jaillissait une foudre vengeresse. S’il avait été de ces personnes facilement secouées et démonstratives, il en aurait tremblé. Mais il ne trembla pas ; Il ne tremblait jamais.

Car il fallait être un golem à l’épiderme de granit. Face aux déferlantes, toujours, ils restaient debout sans même s’autoriser un tremblement. Ils étaient d’inébranlables monolithes - Ou c'est ce qu'ils se devaient de faire croire. Mais sur une fondation craquelée, Jack se sentait intimement troublé. Il avait du sang sur les mains.

LUCIUS Profondément ébranlé comme la plupart des aigles, Jack s’est démené en vain les premiers jours pour ne rentrer que bredouille.
Loin d’abandonner, Jack, soldat dévoué qu’il est, fait tout ce qui est en son pouvoir pour retrouver Lucius et ne désespère pas d’y parvenir. Il se méfie des Lions et il est convaincu que ces derniers en savent plus que ce qu’il n’y parait. Prêt à toute éventualité, Jack se tient sur le qui-vive devant toutes ces tensions et ce qu’il peut en éclore.
Pour ce qui est de la gestion des affaires d’Aquila, il ne doute pas que la nouvelle régente est largement à la hauteur. Lucius ne l’a pas désigné de sa main, parmi tant d’autres pour rien.

VOUS ET LA MAGIE L’application studieuse et fervente des élèves appliquées, la pugnacité naturelle et instinctive des soldats zélés font de lui un bon sorcier. Loin de l’incandescence brute et phénoménale de magiciens anormalement talentueux, Jack se contente d’être relativement doué. Puis il ajoutera surtout ; Millimétré car c’est bien là que se trouve tout l’exigence de son métier. Ce qui l’a emmené d’ailleurs à étudier assidument l’occlumencie, afin d’être certain que personne ne s’empare jamais des secrets dont il a la confidence, aussi bénins puissent-ils être. Bien aidé par une discipline de fer, compartimenter ses pensées l’a rendu d’autant plus rigide et ses subalternes grince des dents.

Quand il n’est pas livré aux sortilèges et potions basiques que doivent savoir pratiquer un corps d’armée et qu’il se trouve aux prises avec le ménager, Jack paraît emprunté voir gauche. Ce n’est pas son domaine.

D’ailleurs ni naturellement savant, ni naturellement érudit, des disciplines plus théoriques lui échappent faute de temps et non d’intérêt.

REACTION FACE A L'AMNESIE Il déteste les énigmes et l’impuissance. L'amnésie n’a ni réponse, ni remède qu’on puisse lui forcer.

Alors dans ses entrailles se retourne une rage insidieuse ; C’est la gangrène, la nécrose d’une sanité échoué dans les détours sinueux d’un obscur labyrinthe et dont le cri perce à peine la gangue d’un opaque silence.

Jack étouffe sa frustration comme on presse sa main sur une buche flambante pour en étrangler les flammes. Dans d’inaudibles hoquets de douleur, il pleure une vie qui lui a échappé.