Cela va déjà faire dix bonnes minutes que tu fixes ton compagnon d'infortune ; enfin, l'infortuné, c'est surtout lui. Victime d'une potion d'hilarité. Quelle idée franchement. Tu ne sais trop quoi penser. Tu ne le connais pas vraiment. Tu te souviens de sa venue à la boutique pour la révision de sa baguette. Bois de cornouiller et crin de sombral. Une baguette qui aime faire face à l'excitation du danger. Une baguette qui s'ennuie doucement depuis quelques temps ... Tu ignores comment se comporte son propriétaire d'ordinaire. Tu te félicites déjà de te souvenir de son prénom, pour tout dire. Atticus. Au vue de la réaction des passants qui le voient rire et s'agiter dans tous les sens, de base, il ne doit pas vraiment faire de bruit autour de lui. Mais présentement, il est pire qu'un gosse qui aurait abusé de sucreries, c'est à se demander comment tu fais pour garder un tel calme. Tu fronces les sourcils, surveillant le pauvre diable en le suivant de près, te tenant à tout juste deux pas derrière lui. Et avec tout ça, vous devez trouver une feuille de saule-cogneur. Splendide. Tu n'es pas du genre à avoir froid aux yeux, mais avec un asticot pareil, tu sais la tâche encore plus périlleuse qu'elle aurait pu l'être en temps normal. Tu soupires. Réfléchissant déjà à comment vous alliez bien pouvoir vous en sortir. Jusqu'à ce que tu remarques qu'Atticus s'en va dans la mauvaise direction. « Eh ! Le Bois-Aux-Loups c'est par là ! » Et tu ponctues ta phrase en montrant le chemin de ton bras tendu, plantant ton regard perçant sur le jeune homme. La journée s'annonce bien longue ...

Il est mort de rire. La situation est trop drôle. A se taper le cul par terre. Il sait pas vraiment pourquoi c'est si drôle mais, en tout cas, Atticus se marre. Et quand on lui a dit qu'il avait besoin d'une feuille de saule cogneur, ça a été la meilleure nouvelle de sa journée. Non, de sa vie, en fait. Oui, au moins tout ça. Et en sortant de chez l'alchimiste, il a pratiquement commencé à sautiller. Ce grand machin qui sautille, il attire les regards et il s'en rend même pas compte. C'est limite si ça ne le fait pas encore plus rire quand il aperçoit les yeux ronds d'un passant.
Et le voilà, à sautiller en pleine rue, toujours en train de glousser, ses épaules qui se secouent en rythme sans jamais s'arrêter. Tout est drôle. Mais vraiment, il n'a jamais rien vu de plus drôle. Et puis, y a cette fille qui l'accompagne, là, avec son drôle de nom aussi. Faut dire, il lui est rentré dedans, ou alors il lui est tombé dessus. Et c'était vraiment marrant. Et maintenant, elle est toujours avec lui. C'est pas un souci, il l'aime bien. En tout cas, là tout de suite, il l'aime bien. Parce que son visage, il l'amuse. Il la regarde et replonge dans un fou rire. Et quand elle l'interpelle, il arrête de sautiller. Elle lui montre la direction opposée à celle qu'il rejoignait. Alors, il trottine vers elle, un grand sourire aux lèvres, les yeux brillants de larmes de joie. « Ah oui. » qu'il dit, comme si tout était normal. Et puis, il la regarde un peu plus attentivement, penche légèrement la tête et recommence à glousser. « Tu-t-tu t’appelles Yo-yo-yooooko !  » et quand il arrive enfin à finir sa phrase malgré ses tremblements qu'il tente de contenir, il éclate d'un grand rire bruyant, qui secoue toute sa personne et lui fait presque mal aux côtes. Personne ne sait ce qu'il y a de drôle dans ce nom, à part lui.
Non, à la réflexion, même lui ne sait pas ce qu'il y a de drôle.

En tout cas, tant bien que mal, il se remet en marche dans la direction qu'elle lui a indiqué. C'est long, de rejoindre le bois dans cette situation. C'est long parce qu'Atticus s'arrête de marcher tous les trois mètres, parce qu'il a vu un truc génial, et impressionnant, et tellement drôle. A un moment, il se retrouve à genoux par terre, tellement il rigole.
Et quand ils arrivent enfin au bois, Atticus a mal aux joues à force de rire, et il hoquette. C'est la plus belle journée de sa vie. Et il s'est pas amusé comme ça depuis trop longtemps. Et si le bois peut avoir l'air menaçant aux yeux de certains, pour Atticus, c'est un lieu au moins aussi fun qu'un parc d'attraction. Et il avance, d'un pas guilleret (quoiqu'avec les jambes un peu flageolantes et faibles de se bidonner comme ça), ignorant tout du danger. Là, le danger ça n'existe plus dans son cerveau. C'est juste la journée la plus marrante de sa vie.